quinta-feira, 1 de junho de 2006

CORNELIUS CASTORIADIS

On ne peut plus, dans un projet de transformation de la société, accorder au Messie prolétarien le rôle privilégié et souverain que Marx lui attribuait dans sa théologie historique. Il n’y a pas de Messie et le prolétariat n’a aucun privilège. Plus généralement, les pauvres en tant que pauvres n’ont aucun privilège politique. Ils peuvent tout aussi bien être une classe subversive – mais subversive vers quoi ? – qu’être la proie la plus facile des démagogues staliniens ou nazis. Pour Marx, si le prolétariat avait un rôle, ce n’était pas seulement à cause de la paupérisation et de la misère, mais du fait des nouveaux modes de socialisation imposés par l’usine capitaliste : le prolétariat composait alors une nouvelle classe d’hommes, avec d’autres réflexes, d’autres comportements sociaux, qui tendaient à s’auto-organiser pour faire aboutir leurs revendications. Ce qui, soit dit en passant, nous montre combien, conformément à son habitude, Jean-Paul Sartre comprenait Marx et le marxisme lorsque il voulait, avec Fanon, transposer le rôle du prolétariat aux paysans du tiers-monde. Peut-être ces derniers sauveront-ils l’humanité. Je n’en sais rien, et on ne le voit pas venir. On ne peut, en tout cas, les intégrer de force dans ce schéma marxien d’une socialisation à la fois négative et positive contre le capital, et qui, surtout, pose de nouvelles formes de coexistence sociale, d’« être-ensemble », comme on dit aujourd’hui – et c’est ce dernier élément qui a fait l’importance du mouvement ouvrier.

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